Par Jonah McIntire, Chief Network Officer, Transporeon (une société Trimble)
La majorité des chargeurs, transporteurs et prestataires de services logistiques est consciente de l’importance de la collecte de données et de la capacité de résolution qui en découle. Collecter des données au fil du temps leur permet d’obtenir des informations cruciales et d’améliorer leur prise de décision sur le long terme, tandis que les données en temps réel peuvent aider à effectuer des choix importants en une fraction de seconde.
L’intelligence artificielle est un outil performant pour tirer parti de ces données. Elle se présente sous plusieurs formes. La première, l’IA “statistique”, permet à ses utilisateurs d’analyser d’énormes quantités d’informations pour y identifier des modèles cachés et prendre des décisions intelligentes. Les entreprises peuvent aussi utiliser des données antérieures pour programmer des modèles d’IA “symbolique”, qui peuvent être utilisés pour des applications dites “à but précis”, telles que l’optimisation des processus.
Comment cela se traduit-il concrètement dans le transport et la logistique, et quelles en sont les perspectives ?
Automatisation vs. Intelligence artificielle : quelles différences ?
Les termes d’automatisation et d’intelligence artificielle sont souvent utilisés de façon interchangeable mais, bien que liés, ne renvoient pas à la même chose. Automatiser consiste à déléguer des tâches quotidiennes et souvent administratives à des logiciels. L’IA, en revanche, permet de déléguer le pouvoir décisionnel. Le logiciel est paramétré à l’avance, mais il utilisera ses capacités pour tirer des conclusions qui n’étaient pas attendues à l’avance. Les utilisateurs peuvent donner à l’IA des degrés de liberté variables. Une approche plus conservatrice consiste à permettre au logiciel de calculer différentes options et de faire des recommandations devant être approuvées par un humain. Cependant, il peut aussi parvenir à ses propres conclusions et prendre des décisions de manière autonome, sans même en informer un humain.
Il convient toutefois de garder à l’esprit certaines considérations. L’IA est utilisée de préférence pour des décisions relatives à des valeurs financières concrètes, faciles à évaluer et comportant des variables discrètes et bien connues. Comme les êtres humains, l’IA apprend en faisant. Ainsi, si une décision n’est prise qu’une fois par an, il faudra des décennies pour que le logiciel recueille suffisamment de données pour obtenir un feedback. De manière réaliste, les modèles d’IA doivent pouvoir analyser des milliers de décisions par jour. Dans l’idéal, les acteurs utiliseraient des modèles formés non seulement à partir de leurs propres données, mais aussi à partir de données recueillies dans l’ensemble du secteur. Cette approche collaborative (ou en « plateforme ») permet à chacun de progresser.
Après la théorie, la pratique. Dans quels domaines du transport et de la logistique l’IA peut-elle avoir le plus d’impact ? Tous – mais voici quelques exemples où son potentiel peut encore être développé.
Les outils d’ETA en temps réel
Le manque de communication entre les expéditeurs et les transporteurs est un problème récurrent. Pour améliorer la visibilité, la transparence et l’efficacité, il est nécessaire de mettre en relation les récepteurs et les donneurs de chargements.
Prévoir l’heure d’arrivée des chargements a toujours été un problème pour les expéditeurs et les transporteurs. Les causes habituelles de retard peuvent sembler totalement aléatoires à l’œil humain. Mais lorsqu’une IA analyse des données sur plusieurs années, des schémas cachés apparaissent. En règle générale, à moins de faire face à des circonstances sans précédent, l’IA est bien meilleure que l’humain pour prédire les heures d’arrivées estimées. Avec un outil d’ETA en temps réel assisté par l’IA, les entreprises peuvent donc s’assurer de la bonne réception des chargements.
L’automatisation des achats et les devis
L’achat de spot est un cas d’usage parfait pour l’IA symbolique, car les entreprises disposent d’un budget fixe et de contraintes claires concernant les délais et les types de transporteurs. En outre, les négociations sont relativement simples : les participants peuvent faire une offre, attendre une réponse, faire une contre-offre, accepter une offre ou mettre fin à une négociation. Les logiciels peuvent ainsi facilement poursuivre leurs objectifs de manière indépendante, ce qui permet d’économiser des milliers d’heures d’administration manuelle.
Il ne s’agit là que d’un exemple parmi d’autres. Dans les achats, l’IA statistique peut également optimiser les appels d’offres en utilisant d’importantes quantités de données pour prédire les prix. Par exemple, au lieu de demander aux transporteurs de répondre à un appel d’offres pour un chargement, l’IA peut présenter cet appel d’offres – et une offre de prix – à un nombre restreint de transporteurs. Si aucun transporteur n’accepte le chargement proposé au prix offert, l’IA peut lancer d’autres appels d’offres si nécessaire.
L’IA peut également avoir un effet transformateur pour les prestataires de services logistiques, en leur permettant de servir automatiquement les clients avec des prix instantanés et précis pour les transports ponctuels, sur la base des taux prévus par le marché. Grâce à cette capacité, les preneurs de charge peuvent augmenter le volume d’opportunités pour lesquelles ils font des offres et conclure plus de nouveaux contrats.
La décarbonation
Le secteur du transport est sous pression pour réduire ses émissions de CO2. Les utilisateurs finaux font pression sur les chargeurs pour qu’ils décarbonent leurs activités. De leur côté, les chargeurs exercent une pression similaire sur les transporteurs en les sélectionnant en fonction de leur engagement environnemental, en proposant des contrats de fret plus longs à ceux qui sont le plus respectueux, voire en payant une prime pour un transport à faibles émissions.
L’enjeu environnemental ayant désormais une incidence sur les résultats, il n’est pas surprenant que la décarbonation devienne une priorité pour les expéditeurs et les transporteurs. Quel rôle l’IA peut-elle jouer dans cette situation ?
Contrairement à la question des achats, il n’y a souvent pas de “recette miracle” en matière de réduction des émissions. Les entreprises peuvent avoir des idées divergentes sur la stratégie optimale, en cherchant un équilibre “coûts-émissions” ou “certitude-émissions”. Cependant, une fois que les différents acteurs du secteur auront mesuré le risque qu’ils souhaitent prendre, l’IA peut jouer un rôle crucial en les aidant à respecter leurs objectifs.
Les entreprises adoptent généralement l’une des deux stratégies suivantes. La première est une stratégie de plafonnement et d’échange, ou l’entreprise décide qu’elle ne tolérera pas plus de X émissions. La seconde est de mettre en place une taxe sur le carbone, dans le cadre de laquelle l’entreprise décide de compenser ses émissions. Dans ces deux cas, les chargeurs et les transporteurs peuvent prendre en compte le « prix par tonne d’émissions » dans leurs achats. L’IA statistique peut être un outil de décision utile lorsqu’il s’agit de décider du mode de transport à utiliser pour chaque expédition par exemple.
Un avenir collaboratif pour l’IA dans le transport et la logistique
L’utilisation de l’IA dans le secteur est arrivée à un point d’inflexion important. Elle va continuer à permettre aux entreprises de réduire les tâches administratives et de devenir plus efficaces et plus durables. Mais pour y parvenir, les données doivent être collectées et partagées de façon efficace, d’où l’importance de la coopération entre les différents acteurs du secteur. Pour maximiser la chance d’avoir des résultats positifs pour tous, les acteurs du secteur ont besoin de plateformes digitales collaboratives pour partager les données afin d’alimenter les modèles d’IA. Avec cette approche, il sera possible d’atteindre plus rapidement les objectifs de digitalisation et de décarbonation du secteur.
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